Le 26 mars 2019, le parlement européen a adopté la directive sur le droit d’auteur dans le marché du numérique. Elle a pour objet d’adapter le droit existant à l’évolution des technologies et de l’environnement numérique.
Le considérant 3 déroule l’objet des mesures prises : « La présente directive prévoit des (1) règles visant à adapter certaines exceptions et limitations au droit d’auteur et aux droits voisins à l’environnement numérique et transfrontière, (2) ainsi que des mesures destinées à faciliter certaines pratiques d’octroi de licences, notamment mais pas seulement, en ce qui concerne la diffusion d’œuvres indisponibles dans le commerce et d’autres objets protégés, (3) et la disponibilité en ligne d’œuvres audiovisuelles sur les plateformes de vidéo à la demande, en vue d’assureur un accès plus large aux contenus.
De plus :
Elle contient également des (4) règles destinées à faciliter l’utilisation de contenus qui sont dans le domaine public. Afin de réaliser un marché performant et équitable pour le droit d’auteur, il devrait également exister (5) des règles sur les droits dans les publications, sur l’utilisation des œuvres ou autres objets protégés par les prestataires de services en ligne qui stockent et donnent accès à des contenus téléversés par leurs utilisateurs, (6) sur la transparence des contrats d’auteurs et d’artistes interprètes ou exécutants, et sur la rémunération de ces auteurs et artistes interprètes ou exécutants, de même qu’il devrait exister (7) un mécanisme de révocation des droits que les auteurs et artistes interprètes ou exécutants ont transférés sur une base exclusive. ».
Je vous propose une série d’articles consacrés à ces nouvelles mesures, en reprenant l’ordre proposé par le texte.
Le premier de ces articles se consacre aux mesures visant à adapter certaines exceptions et limitations au droit d’auteur. Ainsi qu’aux droits voisins à l’environnement numérique et transfrontière.
Il est rappelé que l’auteur jouit sur son œuvre d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Il est donc le seul à pouvoir autoriser ou interdire l’exploitation (représentation, reproduction, diffusion, adaptation…) de son œuvre. Toute exploitation effectuée sans son accord est constitutive de contrefaçon.
Toutefois, il existe une série d’exceptions, c’est-à-dire, de circonstances dans lesquelles l’utilisation de l’œuvre n’est pas soumise à autorisation.
Ce sont certaines de ces exceptions que le titre II de la directive tend à adapter à l’environnement numérique.
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Les exceptions au droit d’auteur dans le marché du numérique et aux droits voisins actuellement en vigueur:
L’article L.122-5 du Code de la propriété intellectuelle dresse une liste exhaustive d’exceptions au droit d’auteur :
« Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire :
Article 1
1° Les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille ;
Article 2
2° Les copies ou reproductions réalisées à partir d’une source licite. Et strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective. A l’exception des copies des œuvres d’art destinées à être utilisées pour des fins identiques à celles pour lesquelles l’œuvre originale a été créée. Et des copies d’un logiciel autres que la copie de sauvegarde établie dans les conditions prévues au II de l’article L. 122-6-1 . Ainsi que des copies ou des reproductions d’une base de données électronique ;
Article 3
3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source :
- a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, ou pédagogique. Ou encore scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées ;
- b) Les revues de presse ;
- c) La diffusion, même intégrale, par la voie de presse ou de télédiffusion. A titre d’information d’actualité, des discours destinés au public prononcés dans les assemblées politiques, administratives. Ou encore judiciaires ou académiques, ainsi que dans les réunions publiques d’ordre politique et les cérémonies officielles
- d) Les reproductions, intégrales ou partielles d’œuvres d’art graphiques ou plastiques. Destinées à figurer dans le catalogue d’une vente judiciaire effectuée en France pour les exemplaires mis à la disposition du public avant la vente dans le seul but de décrire les œuvres d’art mises en vente ;
- e) La représentation ou la reproduction d’extraits d’œuvres. Sous réserve des œuvres conçues à des fins pédagogiques et des partitions de musique. Ou à des fins exclusives d’illustration dans le cadre de l’enseignement et de la recherche, y compris pour l’élaboration et la diffusion de sujets d’examens ou de concours organisés dans la prolongation des enseignements à l’exclusion de toute activité ludique ou récréative. Ce dès lors que cette représentation ou cette reproduction est destinée, notamment au moyen d’un espace numérique de travail, à un public composé majoritairement d’élèves, d’étudiants, d’enseignants. Ou de chercheurs directement concernés par l’acte d’enseignement, de formation ou l’activité de recherche nécessitant cette représentation ou cette reproduction, qu’elle ne fait l’objet d’aucune publication ou diffusion à un tiers au public ainsi constitué. Ainsi que l’utilisation de cette représentation ou cette reproduction ne donne lieu à aucune exploitation commerciale et qu’elle est compensée par une rémunération négociée sur une base forfaitaire sans préjudice de la cession du droit de reproduction par reprographie mentionnée à l’article 122-10 ;
Articles 4
4° La parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ;
Article 5
5° Les actes nécessaires à l’accès au contenu d’une base de données électronique. Pour les besoins et dans les limites de l’utilisation prévue par contrat ;
Article 6
6° La reproduction provisoire présentant un caractère transitoire ou accessoire. Lorsqu’elle est une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique. Et qu’elle a pour unique objet de permettre l’utilisation licite de l’œuvre. Ou encore sa transmission entre tiers par la voie d’un réseau faisant appel à un intermédiaire. Toutefois, cette reproduction provisoire qui ne peut porter que sur des œuvres autres que les logiciels et les bases de données ne doit pas avoir de valeur économique propre ;
Articles 7
7° Dans les conditions prévues aux articles L. 122-5-1 et L. 122-5-2, la reproduction et la représentation par des personnes morales et par les établissements ouverts au public. Tels que les bibliothèques, les archives, les centres de documentation et les espaces culturels multimédia. Et ce en vue d’une consultation strictement personnelle de l’œuvre par des personnes atteintes d’une ou de plusieurs déficiences des fonctions motrices, physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques et empêchées, du fait de ces déficiences, d’accéder à l’œuvre dans la forme sous laquelle l’auteur la rend disponible au public ;
Ces personnes empêchées peuvent également, en vue d’une consultation strictement personnelle de l’œuvre, réaliser, par elles-mêmes ou par l’intermédiaire d’une personne physique agissant en leur nom, des actes de reproduction et de représentation ;
Article 8
8° La reproduction d’une œuvre et sa représentation effectuées à des fins de conservation. Ou destinées à préserver les conditions de sa consultation à des fins de recherche ou d’études privées par des particuliers, dans les locaux de l’établissement et sur des terminaux dédiés par des bibliothèques accessibles au public, par des musées ou par des services d’archives, sous réserve que ceux-ci ne recherchent aucun avantage économique ou commercial ;
Article 9
9° La reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d’une œuvre d’art graphique, plastique ou architecturale. Par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d’information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d’indiquer clairement le nom de l’auteur.
Articles 10
Le premier alinéa du présent 9° ne s’applique pas aux œuvres, notamment photographiques ou d’illustration, qui visent elles-mêmes à rendre compte de l’information ;
10° Les copies ou reproductions numériques réalisées à partir d’une source licite. Ce en vue de l’exploration de textes et de données incluses ou associées aux écrits scientifiques pour les besoins de la recherche publique. A l’exclusion de toute finalité commerciale. Un décret fixe les conditions dans lesquelles l’exploration des textes et des données est mise en œuvre. Ainsi que les modalités de conservation et de communication des fichiers produits au terme des activités de recherche pour lesquelles elles ont été produites. Ces fichiers constituent des données de la recherche ;
Article 11
11° Les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures. Placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physique. Ce, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial.
Les reproductions ou représentations qui, notamment par leur nombre ou leur format, ne seraient pas en stricte proportion avec le but exclusif d’information immédiate poursuivi. Ou qui ne seraient pas en relation directe avec cette dernière donnent lieu à rémunération des auteurs. Ce, sur la base des accords ou tarifs en vigueur dans les secteurs professionnels concernés.
Les exceptions énumérées par le présent article ne peuvent porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.
Les modalités d’application du présent article, notamment les caractéristiques et les conditions de distribution des documents mentionnés au d du 3°, sont précisées par décret en Conseil d’Etat. »
Le nombre de ces exceptions a régulièrement crû ces dernières années. Notamment sous l’impulsion de la jurisprudence européenne soucieuse d’établir un équilibre entre les droits fondamentaux en présence. Comme la liberté d’expression, de communication, d’une part, et le droit d’auteur, d’autre part, ou encore accès à la culture …
Pour être acceptée (et acceptable), toute exception doit avoir une fin non-commerciale.
Enfin, les exceptions sont d’interprétation stricte. Il n’est donc pas possible de les appliquer par analogie, ou de les étendre à des situations qui présenteraient des points de similarité.
C’est pour cette raison que chaque nouvelle situation justifiant une exception doit expressément être prévue par la loi.
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Les exceptions instaurées par la directive sur le droit d’auteur dans le marché du numérique
Le projet de Directive prévoit trois « nouvelles » exceptions au droit d’auteur. Et ce afin de faciliter la recherche scientifique, l’enseignement, et la préservation du patrimoine culturel des musées :
- La fouille de textes et de données (articles 3 et 4)
- L’utilisation d’œuvres et d’autres objets protégés dans le cadre d’activités d’enseignement numérique (article 5)
- La préservation du patrimoine culturel par les musées (article 6)
1. La fouille de texte et de données
Articles 3 et 4, considérants 8 à 18
L’article 3 prévoit l’instauration d’une exception permettant, sans autorisation préalable des auteurs concernés :
* la fouille de texte et de données auxquels ils ont accès de manière licite, à des fins de recherche scientifiques,
par des organismes de recherches et institutions culturelles,
* ainsi que leur conservations à des fins de recherches scientifique, y compris pour la vérification des résultats de recherché,
à condition de mettre en place un niveau de sécurité approprié.
Les notions d’organismes de recherche, d’institutions culturelles et de fouille des textes et des données sont définies à l’article 2, § 1, 2 et 3. Ainsi qu’aux considérants 8, 12 et 13 ; et la notion d’accès licite au considérant 14.
Cette exception a déjà été introduite dans le droit français et figure à l’article L.122-5, 10° précité.
Cette exception (initialement circonscrite à la recherche scientifique, devant ne bénéficier qu’aux organismes énoncés, et excluant toute finalité commerciale) a été « étendue » par le parlement. Et ce dans un article 4, à tous et à des fins diverses « à condition que l’utilisation des œuvres et autres objets protégés n’ait pas été expressément réservées par leurs titulaires de droits d’une manière appropriée. Notamment par des procédés lisibles par machine pour les contenus mis à disposition du public en ligne ».
Les parlementaires justifient l’ouverture de cette exception à tous (notamment aux organismes privés) et à toutes fins. Notamment par le choix des titulaires de droit, de la nécessité de sécuriser juridiquement les utilisateurs. Et afin « d’encourager également l’innovation dans le secteur privé ». Un critère économique dans la justification de la création de cette dérogation au droit d’auteur est ainsi inclus.
Avec cette exception, plus de régime d’autorisation préalable de l’auteur : l’autorisation implicite devient la règle. Il appartiendra désormais à l’auteur d’expressément réserver ses droits le cas échéant.
Ainsi il existera deux régimes d’exception :
- une exception « irréfragable » pour la fouille à des fins scientifiques et menée par des organismes de recherche ou institutions culturelles (ces deux conditions à l’exception étant cumulatives)
- une exception « conditionnée » pour la fouille, sans qu’il faille rechercher sa finalité, à condition que l’auteur ne s’y soit pas expressément opposé par des procédés appropriés.
Dans les deux cas, la fouille ne peut intervenir que sur des œuvres ou objets protégés accessibles de manière licite. Ce qui implique que ces œuvres ou objets aient été divulgués par l’auteur et rendus par lui accessibles au public.
Reste à savoir comment l’auteur peut réserver ses droits, qu’elles seront les mesures de publicité de sa décision. Comme les procédés numériques lisibles par machine pour les contenus mis en ligne. Ou encore l’inscription sur une liste par exemple pour tout autre œuvre, tenue par qui ….
La transposition de la directive sur le droit d’auteur dans le marché du numérique sera, peut-être, l’occasion d’ouvrir la réflexion au niveau national.
2. L’utilisation dans le cadre d’activité d’enseignement numérique et transfrontière
Article 5, considérants 19 à 24
L’article 5 a pour objet de permettre « utilisation numérique des œuvres et autres objets protégés à des fins exclusives d’illustration dans le cadre de l’enseignement, dans la mesure justifiée par le but non commercial poursuivi, à condition que cette utilisation :
- ait lieu sous la responsabilité d’un établissement d’enseignement. Dans ses locaux ou dans d’autres lieux, ou au moyen d’un environnement électronique sécurisé accessible uniquement aux élèves, aux étudiants et au personnel enseignant de cet établissement ; et
- s’accompagne d’une indication de la source, y compris le nom de l’auteur, à moins que cela ne s’avère impossible. »
Les paragraphes suivants laissent la possibilité aux Etats membres de prévoir :
- que cette exception ne soit pas applicable à certaines « utilisations ou types d’œuvres ou autre objet protégés, comme le matériel qui est principalement destiné au marché éducatif ou les partitions musicales, pour autant que des licences adéquates autorisant les actes visés … Et répondant aux besoins et aux spécificités des établissements d’enseignement peuvent être facilement être obtenues sur le marché »,
- une compensation équitable pour les titulaires de droits.
Il existait déjà une exception au droit d’auteur de représentant ou reproduction d’œuvre à des fins d’illustration. Ce, dans le cadre d’enseignement prévue par la directive du 22 mai 2001.
Et ce sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, introduite en droit français à l’article L.122-5, 3° e) précité. Toutefois les institutions européenne ont estimé qu’il n’était pas « clairement établi si ces exception ou limitations s’appliqueraient dans le cadre de l’enseignement dispensé en ligne et à distance. De plus le cadre juridique existant ne prévoit pas d’effet transfrontalier ».
Les exceptions étant d’interprétation stricte, il était nécessaire de rédiger un texte explicite sur ces deux points : c’est l’objet de l’article 5.
Ainsi, la loi française inclut déjà dans sa rédaction de l’exception les « espaces numériques de travail ». Elle prévoit pour les titulaires de droits une compensation sous forme « d’une rémunération négociée sur une base forfaitaire ». Le régime de cette exception ne devrait donc pas être profondément modifié par la nouvelle directive sur le droit d’auteur dans le marché du numérique.
Le considérant 21 consacré à cette exception précise « les utilisations autorisées dans le cadre de l’exception ou de la limitation devraient être entendues comme celles couvrant les besoin d’accessibilité spécifiques des personnes handicapées, dans le cadre de l’utilisation à des fins d’enseignement ».
3. La préservation du patrimoine culturel par les musées
Article 6, considérants 25 à 30
L’article 6 permet « aux institutions du patrimoine culturel de réaliser des copies de toute œuvre ou tout autre objet protégé qui se trouve à titre permanent dans leurs collections. Sous quelque forme ou sur quelque support que ce soit. A des fins de conservation de ces œuvres et autres objets protégés et dans la mesure nécessaire à cette conservation. »
En droit français une telle exception figure déjà à l’article L.122-5, 8°.
La directive prévoit l’obligation pour les Etats membres d’introduire ces exceptions dans leur législation. Là où auparavant le choix des exceptions leur appartenait. De plus, l’article 7 interdit qu’il puisse y être déroger par contrats. Le caractère obligatoire était toutefois nécessaire à la volonté affiché de sécurisation et de circulation transfrontalière des droits et des données.
Pour en savoir plus : https://www.avocat-fretel.fr/avocat-celine-fretel-contact/
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