Nous poursuivons l’analyse de la directive sur le droit d’auteur dans le marché du numérique adoptée par le parlement européen le 26 mars. Nous nous attarderons dans ce second article à son titre III (articles 8 à 14). Celui-ci étant consacré aux « mesures visant à améliorer les pratiques en matière d’octroi de licences et à assurer un plus large accès au contenu ».
La directive prévoit ainsi de faciliter l’octroi de :
– licences en vue de la diffusion d’œuvres et autres objets protégés indisponibles dans le commerce,
– licences collectives destinées à s’appliquer aux œuvres et autres objets protégés dont les titulaires de droits n’ont pas adhéré à un organisme de gestion collective,
Elle prévoit également la création d’un organisme de négociation. Afin de faciliter la diffusion des œuvres audiovisuelles sur les plateformes de vidéo à la demande. Elle veille enfin à garantir l’accès aux œuvres du domaine public.
1. Faciliter l’accès aux œuvres indisponibles dans le commerce.
Articles 8 à 11, considérants 30 à 43
L’article 8 prévoit que les sociétés de gestions collectives peuvent consentir des contrats de licences non exclusives. Et à des fins non commerciales avec une institution du patrimoine culturel. Cela en vue de la reproduction, la distribution, la communication au public. Ou encore la mise à disposition du public d’œuvre ou autres objets protégés indisponibles dans le commerce. Ceux-ci se trouvent à titre permanent dans la collection de l’institution. Et ce indépendamment du fait que tous les titulaires de droits couverts par la licence aient ou non mandaté l’organisme de gestion collective.
1. a) Conditions de mise en œuvre de la licence :
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Conditions relatives aux sociétés de gestion collective :
Pour pouvoir octroyer une telle licence,
* elles doivent être suffisamment représentatives des titulaires de droits en ce qui concerne le type d’œuvres ou objets protégés concernés,
Les institutions européennes précisent quelques points. Si elles laissent aux Etats membres la liberté de définir les critères du caractère « suffisamment représentatif », les sociétés de gestion collective doivent présenter des qualités de rigueur. Ou encore de bonne gouvernance, et de transparence dans leur gestion. Ainsi que « la distribution et le versement régulier, avec diligence et exactitude, des sommes dues aux titulaires de droits individuels » (considérants 33 et 34)
* elles doivent assurer une égalité de traitement à tous les titulaires de droits.
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Conditions relatives aux œuvres ou autres objets protégés :
Pour pouvoir être l’objet d’une telle licence,
* les œuvres ou autre objets protégés doivent se trouver à titre permanent dans les collections d’une institution du patrimoine culturel,
* Ils doivent être indisponibles dans le commerce, c’est-à-dire, ne pas être disponibles pour le public par le biais des circuits commerciaux habituels. Et ce « après que des efforts raisonnables ont été entrepris pour déterminer si cette œuvre ou autre objet protégé est disponible pour le public ». Il est possible pour les Etats membres de définir cette indisponibilité par application d’une date butoir, ou d’un délai raisonnable,
* ils ne doivent pas être protégés par la loi d’un pays tiers. C’est-à-dire, ne doivent pas avoir été divulgués pour la première fois dans un pays tiers. Ou avoir un producteur dont le siège ou la résidence habituelle se situe dans un pays tiers. Sauf dans le cas où l’organisme de gestion collective concerné est suffisamment représentatif du pays tiers en question notamment par la biais d’accord de représentation.
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Conditions relatives aux titulaires de droit :
Pour l’octroi d’une telle licence, il n’est pas nécessaire de tous les titulaires de droits ait ou non mandaté la société de gestion collective concernée.
Les titulaires de droit ont toutefois la possibilité d’exclure expressément les œuvres dont ils détiennent les droits du mécanisme de la licence.
Par le biais de la licence on passe une fois encore d’un régime d’autorisation préalable à un régime de consentement implicite.
1. b) Termes et exécution de la licence
La licence peut couvrir tous les droits patrimoniaux d’auteur. L’objectif étant que de promouvoir la numérisation et la diffusion, donc l’accessibilité, des œuvres indisponibles. Ceci pour une exploitation à des fins non commerciales.
En outre, la licence doit permettre l’utilisation d’œuvres ou d’autres objets protégés dans tout Etat membres (article 9).
La licence doit faire l’objet de mesures de publicité. Et ce « de façon permanente, aisée, et effective sur un portail internet public unique à partir d’au moins six mois avant les droits conférés par la licence » ne soient mis en œuvre (article 10).
Le portail internet sera géré par l’Office de l’union Européenne pour la Propriété Intellectuelle.
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Exceptions :
Lorsqu’il n’existe pas de société de gestion collective suffisamment représentative, les Etats membres doivent prévoir une exception aux droits d’auteur. Cela afin de permettre aux institutions du patrimoine culturel de mettre à disposition à des fins non commerciales, des œuvres ou autres objets protégés. Ces œuvres indisponibles dans le commerce, se trouvent à titre permanent dans leur collection cela à condition de veiller au respect du nom de l’auteur.
L’exception ne vaut que sur le territoire de l’Etat membre où l’institution du patrimoine culturel est établie.
Les Etats membres doivent consulter et encourager un dialogue régulier. Que ce soit entre les titulaires de droits, et les sociétés de gestion collective. Ainsi que les institutions du patrimoine culturel sur la pertinence et l’utilité du système (article 11).
En 2012, la France a instauré un système similaire pour les livres indisponibles dans le commerce. Cela afin de permettre une exploitation sous forme numérique. Sous condition d’être inscrits dans la base de données publique ReLIRE, gérée par la Bibliothèque nationale de France (BNF).
La BNF avait ainsi numérisé plus de 100.000 livres en 2018. Pour un bilan de ce processus : http://www.lettresnumeriques.be/2018/08/17/ou-en-est-le-projet-relire/
Les nouvelles dispositions européennes ont vocation à s’appliquer à toutes œuvres et donc a étendre la portée de la numérisation engagée en France.
2. Faciliter l’octroi de licences collectives concernant le droit d’auteur dans le marché du numérique.
Article 12, considérants 44 à 50
L’article 12 prévoit la faculté pour les sociétés de gestion collectives d’étendre les accords de licence conclus. Cela pour l’exploitation des œuvres de leur membres aux œuvres (entrant dans le cadre de leur gestion). Autant que des titulaires de droits qui ne les ont pas autorisées à les représenter, donc non membres de la société de gestion dont il s’agit.
Dès lors elle est présumée disposer d’un mandat légal de représentation desdits titulaires de droit.
Une telle licence ne peut être prévue que dans des domaines d’utilisation bien définis. Notamment « lorsque l’obtention d’autorisation auprès des titulaires de droits sur une base individuelle s’avère habituellement onéreuse et difficile à mettre en œuvre (on pense aux œuvre de collaboration)… et veillent à ce que ce mécanisme d’octroi de licences préserves les intérêts légitimes des titulaires de droits », à définir donc lors de la transposition de la directive.
Les conditions relatives aux sociétés de gestions collectives sont identiques à la licence prévue pour les œuvres indisponibles, pour octroyer de telles licences elles doivent :
- être suffisamment représentatives
- assurer une égalité de traitement
Les titulaires de droits qui n’ont pas adhéré à la société de gestion collective ont toujours la possibilité d’exclure expressément les œuvres dont ils détiennent les droits du mécanisme de la licence.
Des mesures de publicité précédant à la mise en œuvre de la licence doivent être effectuées dans un délai raisonnable.
Les Etats membres doivent enfin veiller à transmettre à la Commission toute information sur les licences ainsi mises en œuvre. Dans le but que celle-ci puisse établir un rapport sur leur incidence ou leur efficacité. Ainsi que sur leur capacité à accomplir l’objectif d’accessibilité visé par la directive.
3. Faciliter l’octroi de licences de droits sur les œuvres audiovisuelles à des services de vidés à la demande.
Article 13, considérants 51 et 52
L’article 13 oblige les Etats membres a créer ou désigner un organisme impartial. Celui-ci aura pour missions d’apporter son assistance aux services de vidéos à la demande et aux titulaires de droits concernés. Ayant pour objectif de conclure un contrat d’exploitation d’une œuvre audiovisuelle, et ainsi de faciliter les négociations entre les parties.
« L’organisme ou les médiateurs devraient se réunir avec les parties et faciliter les négociations en fournissant des conseils professionnels, impartiaux et extérieurs » (considérant 52)
L’instauration d’un article dédié à la négociation des œuvres audiovisuelles et d’un organisme impartial et médiateur, fusse dans le cadre spécifiques de leur accès aux services de vidéos à la demande, tend à exclure lesdites œuvres audiovisuelles du champ d’application des licences collectives de l’article 12.
4. Préserver l’accessibilité du domaine public pour le droit d’auteur dans le marché du numérique.
Article 14, considérant 53
L’article 14 vise à préserver l’accessibilité d’œuvre d’art visuel, appartenant au domaine public afin que leur reproduction ne donne pas lieu à une forme de « privatisation » des dites œuvres.
Ainsi, il édicte « les Etats membres prévoient que, lorsque la durée de protection d’une œuvre d’art visuel est arrivée à expiration, tout matériel issu d’un acte de reproduction de cette œuvre ne peut être soumis au droit d’auteur ni aux droits voisins, à moins que le matériel issu de cet acte de reproduction ne soit original, en ce sens qu’il est la création intellectuelle propre à son auteur ».
Ainsi par exemple, la « simple » photographie (de face, sans recherche d’originalité) ou la numérisation d’un tableau appartenant au domaine public ne peut donner lieu à l’attribution de droits d’auteur à l’exécutant.
L’ensemble de ces mesures visent à faciliter la diffusion des œuvres. Notamment l’accès, par voie numérique, d’œuvres ou d’objets protégés sur le territoire de l’Union. On constate que pour atteindre cet objectif, l’Union opte de plus en plus pour une dérogation aux droits de l’auteur. Dans le but d’interdire ou d’autoriser l’exploitation de son œuvre. Les exceptions étaient déjà de plus en plus nombreuses, les accords de licence sont destinés à le devenir.
Pour en savoir plus : https://www.avocat-fretel.fr/avocat-celine-fretel-contact/
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